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LES SAFER & la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et

Alexandre Guillois

I.Un droit de préemption rationalisé & renforcé :


Avec la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, le législateur semble avoir exaucé les vœux de la FNSAFER pour 2016 s’agissant de leur droit de préemption. La FNSAFER a été entendue à double titre, sur la rationalisation et le renforcement de son droit préemption.


A. La rationalisation du droit de préemption des SAFER :


1. Le droit de préemption partielle :


Avec la création des articles L.143-1-1 & L.143-1-2 du Code rural, le législateur a répondu à une revendication de la FNSAFER, consignée dans son livre blanc, donner aux SAFER la possibilité de rétrocéder séparément des biens acquis par préemption composés de bâtiments d’habitation et de terres, à l’instar de ce qui est pratiqué pour les biens acquis à l’amiable. Afin que la SAFER puisse réorienter les bâtiments vers un usage non agricole.


Rappelons que sous l’empire des anciens textes, lorsque que ces biens formaient un ensemble au plan géographique, physique ou économique, la déclaration d’intention d’aliéner pouvait être faite pour le tout, la SAFER était tenue de rétrocéder les biens indivisiblement.


Le législateur a conservé quelques gardes fous.


Ce droit de préemption partielle est « indolore » pour le vendeur. En effet, il peut toujours imposer à la SAFER de préempter sur le tout. De même s’il accepte la préemption partielle il peut exiger d’être indemnisé de la perte de valeur des biens non acquis.


Surtout, la SAFER n’a toujours pas vocation à être un agent immobilier de biens ruraux. La rétrocession des bâtiments non agricole doit, autant que faire se peut, servir les causes de la SAFER.


2. Un droit de préemption calqué sur le zonage urbanistique :


Le législateur tente tout d’abord de concilier le conflit entre les deux critères (vocation/ utilisation) du droit de préemption des SAFER. L’usage agricole prime sur la vocation agricole. Il faut d’abord rechercher si le bien est à usage agricole avant d’examiner son potentiel de vocation agricole.


La jurisprudence avait d’ailleurs dû en préciser cette hiérarchie avant cette intervention législative.


Civ 3e, 31 mai 2007, n°06-13874


Le législateur conclu ce débat en précisant que le critère de la vocation agricole ne concerne que les terrains nus.


Surtout, la modification de l’article L.143-1 du Code rural met fin à l’éternel débat sur la « vocation agricole » des terrains, le législateur a enfin résolu cette arcane et définit précisément ces terrains en référence à leur zonage urbanistique.


Pour quelques illustrations des difficultés d’interprétation antérieure de ce critère :


- Civ 3e, 4 mars 2009 n°08-11281 lorsqu’il existe des équipements permanents à une activité agricole ;


- Civ 3e, 31 janvier 1990, n°88-13080 sur l’absence de « vocation agricole » de parcelles boisées.


Désormais, la vocation agricole d’un terrain n’est plus équivoque, elle est constatée lorsque le terrain est situé :


- Dans une zone agricole protégée de l’article L 112-2 du Code rural ;


- Dans un périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains de l’article L 143-1 du Code de l’urbanisme ;


- Dans un zone agricole ou naturelle et forestière délimitée par un document d’urbanisme (zones A ou N des PLU ; zones NB, NC, ND des POS) ;


-Ou, en l’absence de document d’urbanisme, dans un secteur non encore urbanisé.


Cette interférence du droit de l’urbanisme dans la délimitation du droit de préemption des SAFER permet d’en clarifier les contours. Il sera dès lors difficile voir impossible de contester une préemption fondée sur cette liste, sauf à exciper de l’illégalité du zonage devant le juge administratif.


B. Le « renforcement » malhabile du droit de préemption de la SAFER


La FNSAFER militait également dans son livre blanc pour le renforcement de son droit de préemption trop souvent contourné. Le législateur leur a offert un fusil à double coup mais à égaré les cartouches.


1. Le supplément d’information à la SAFER


C’était la véritable tare des SAFER, avant le 1er janvier 2016, voir en réalité pour les opérations passées avant le 1er mars 2016, leur information était cantonnée aux opérations préemptables soumises à DIA (R. 143-4 du Code rural).


Désormais, les SAFER seront dans la confidence de toutes les opérations de cessions grâce à la création de l’article L.141-1-1 du Code rural. Cet article, complété par tout un dispositif règlementaire (R.141-2 et suivants du Code rural issus du décret n°2015-954 du 31 juillet 2015), agira en réalité comme un véritable détecteur de mensonge envers les opérations visant à contourner leur droit de préemption, même si ces opérations sont toujours exclues du champ d’application de la préemption :


- Les cessions entre vifs à titre gratuit (donation, donation-partage) ;


​- Vente en démembrement de propriété.


Seules sont visées ici les cessions d’usufruit ou de nue-propriété à l’exclusion des autres démembrements de la propriété. Il est a noté que le Conseil constitutionnel a refusé au nom de la constitution d’étendre le droit de préemption des SAFER à ces ventes.


DC du 9 octobre 2014, n°2014-701.


- Cession de parts ou actions de société, même pour celles réalisées hors intervention d’un notaire.


Cette information des SAFER sur les cessions de parts ou d’actions de société n’est plus limitée aux seules cas de la vente de la totalité des parts ou actions d'une société agricole puisque désormais l’information des SAFER est totalement indépendante du champ d’application de son droit de préemption. Le moindre mouvement dans les sociétés agricoles n’échappera donc pas aux SAFER.


Les notaires ne sont plus les seules à devoir rendre des comptes aux SAFER, les autres professionnels du droit amenés à opérer de telles cessions de parts ou actions devront s’enquérir de l’accomplissement de cette obligation par leur client cédant. En effet, il est permis d’imaginer qu’en tant que professionnel du droit le solde final de la responsabilité d’une telle omission leur incombe, comme c’est actuellement le cas pour les notaires.


Concrètement, il faudra également se poser la question du traitement de ce flux d’information par les SAFER et de leur potentiel de détection des opérations litigieuses.


2. Des moyens d’actions propres


L’article L.141-1-1 du Code rural prévoit les modalités de sanctions en cas de contournement des SAFER. Il s’agit enfin d’un fondement autonome pour les SAFER d’ester en justice contre leurs détracteurs.


Rappelons en effet que l’action des SAFER pour la sauvegarde de leur droit de préemption n’avait pas de fondement autonome. La cour de cassation avait déduit cette action par analogie et renvoie à l’article L 412-12 du Code rural relatif à l’action du preneur pour agir en nullité d’une vente faite en violation de son droit de préemption. Le régime retenu est donc la nullité de l’opération cette fois ci non pas devant le TPBR mais devant le juge civil de droit commun. Cette action doit être intentée dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente est connue.


Civ 3e, 12 janvier 1994, n°92-11585


Malheureusement, cet article aussi pratique qu’il soit était mal transposable dans les cas d’un contournement du droit de préemption des SAFER.


Pour voir quelques exemples d’absence de fraude au droit de préemption de la SAFER sur ce fondement :


Civ 3e, 19 novembre 2015, n°14-19478 pour le rejet du moyen tiré d’un contournement du droit de préemption de la SAFER pour un démembrement du droit de propriété.


Civ 3e, 4 mars 1971, n° 69-10540 pour le rejet du moyen tiré d’une fraude au droit de préemption de la SAFER pour un apport en société.


Dans ces hypothèses, les SAFER ne parviennent pas à démontrer l’intention de fraude.


Ce fondement jurisprudentiel est désormais codifié à l’article L.141-1-1 II du Code rural.


Fâcheusement, il ne résout pas les problèmes relatifs à la preuve de la fraude qui restera difficile à démontrer. En effet, il n’est qu’une transposition pas assez exégétique des dispositions de l’article L.412-12 du Code rural pour les SAFER. Dès lors, cette sanction restera certainement bornée à la flagrance, lorsque la cession n’a pas fait l’objet d’une déclaration d’intention d’aliénée ou l’hypothèse dans laquelle l’opération de contournement découle d’un retrait des suites d’une préemption. Pour cette dernière hypothèse, le législateur semble même lui prévoir un sort encore moins favorable…


Honorablement, le législateur a prévu en parallèle un fondement spécifique pour sanctionner les nouvelles obligations d’information aux SAFER au III de l’article L.141-1-1 du Code rural. Il s’agit même d’une infraction donnant lieu à une contravention par l’autorité administrative (sans doute le préfet des nouvelles régions) comprise entre 1500 € et jusqu’à 2% du montant de la transaction. Le contrevenant pourra la contester devant le juge administratif.


Bien évidemment, la SAFER pourra toujours intenter une action en allocation de dommages et intérêts devant le juge judiciaire mais elle devra démontrer qu’elle a subi un préjudice, autrement dit elle devra démontrer la fraude à son droit de préemption. C’est un véritable nœud gordien.


D’ailleurs, à travers ces nouvelles dispositions on peut même se demander si le législateur n’a pas rendu inopérante l’action en nullité sur le fondement jurisprudentiel analogique du droit de préemption du preneur d’un contournement du droit de préemption à travers une opération non soumise à DIA. En effet, la distinction des sanctions entre les opérations soumises à DIA et celles soumises à une simple information parait être un véritable désaveu législatif à cette pratique puisque le législateur ne prévoit pas d’action en nullité contre les opérations non soumises à DIA.


Sans donner force de présomption à la fraude du droit de préemption des SAFER, le législateur les a en vérité desservies et cette refonte de leurs moyens d’actions n’est en réalité qu’un majestueux coup d’épée dans l’eau.


II. La soumission pleine et entière des rétrocessions SAFER au contrôle des structures à relativiser :


Là encore, tout avait commencé par un désaveu législatif des juges suprêmes. La Cour de Cassation avait déduit sous l’empire de la loi du 23 janvier 1990 (n°90-85) que les SAFER étaient pratiquement tenues de subordonnée la réalisation effective d’une rétrocession à l’obtention par l’attributaire de l’autorisation administrative requise.


Civ 3e, 21 décembre 1993, n°91-19.509.


La loi d’orientation agricole de 2006 (Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006) avait réussi à semer le doute dans la nouvelle rédaction de l’article L.331-2 du Code rural. Ces dispositions étaient les suivantes :


« I. - Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes :



7° La mise en valeur de biens agricoles reçus d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, ayant pour conséquence la suppression d'une unité économique égale ou supérieure au seuil fixé en application du 2°, ou l'agrandissement, par attribution d'un bien préempté par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, d'une exploitation dont la surface totale après cette cession excède deux fois l'unité de référence définie à l'article L. 312-5. »


Ainsi, on comprend à sa lecture que seules étaient soumises à une autorisation d’exploiter les rétrocessions ayant pour conséquence :


- La suppression d’une unité économique égale ou supérieure au seuil fixé par le schéma départemental de l’agriculture ;


Soit :


- De favoriser l’agrandissement d’une exploitation dont la surface après cession excède deux fois l’unité de référence.


Quand bien même, les termes de l’article L.142-2 du Code rural rentraient en contradiction avec ce privilège en énonçant que les opérations immobilières de la SAFER s’effectuent « en ce qui concerne la rétrocession des terres et exploitations, sous réserve des dispositions du chapitre I du titre III du livre III du Code rural relatives au contrôle des structures des exploitations ».


Ces conditions alternatives étaient, somme toute, un peu restrictif. Pour le reste, les opérations réalisées par les SAFER n’étaient soumises qu’à déclaration préalable.


Cette dispense d’autorisation, tirée de l’idée fausse que les SAFER réalisaient un contrôle analogue, permettait de rendre l’opération des SAFER totalement opaque au contrôle des structures.


En effet, les deux procédures étant distinctes on ne pouvait pas opposer le non-respect de la règlementation relative au contrôle des structures pour contester une attribution SAFER. La SAFER n’a pas besoin de subordonner ses attributions au respect de la règlementation relative au contrôle des structures. Sa seule obligation dans ce cadre était d’adresser la déclaration. Logiquement, les juges avaient privilégiés cette interprétation tirée des dispositions législatives les plus récentes (Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 pour la modification de l’article L.331-2 du Code rural) au détriment des dispositions de l’article L.142-2 du Code rural mises au placard.


Civ 3e, 8 mars 2006 n°05-11691.


Désormais, l’article L.331-2 du Code rural lève toute ambiguïté puisqu’il soutient que « l’avis favorable donné à la rétrocession par le commissaire du Gouvernement … tient lieu de cette autorisation ».


De fait, on comprend que les rétrocessions SAFER et le contrôle des structures sont de nouveau liés, pour le meilleur et pour le pire. En effet, il sera possible d’exciper de l’illégalité de l’avis du Commissaire du Gouvernement en tant qu’il est contraire au contrôle des structures. Ce dernier étant un avis conforme assimilable à une autorisation d’exploiter. Le non-respect des règles relatives au contrôle des structures sera donc opposable à la SAFER pour contester une rétrocession. Ce moyen pourra être soulevé sans se voir opposer une quelconque indépendance des législations et est donc relevé de son inopérance.


Toutefois, au regard du décret d’application (décret n°2015-713 du 22 juin 2015), on comprend que le pouvoir réglementaire a souhaité freiner cet élan législatif. Ainsi, la volonté législative est altérée par le cartésianisme réglementaire.

Déjà aux termes des dispositions du I de l’article R.331-14 du Code rural, le décret joue sur les mots. En effet, le Commissaire n’a plus ici qu’à « tenir compte » du schéma directeur régional des exploitations agricoles. Cette subtilité permettra peut-être de limiter le contrôle des juges face à une obligation qui apparaitra dès lors plus relative, à l’instar de la différence de contrôle opérée par le juge administratif en matière de droit de l’urbanisme entre les obligations de prise en compte, compatibilité et conformité.


Pour en avoir le cœur net il faudra attendre que ces nouveaux schémas directeurs régionaux des structures agricoles sortent de terre.


L’article R.331-14 du Code rural poursuit ainsi, « les candidatures prioritaires justifiant les refus d'autorisation d'exploiter mentionnés au 1o de l'article L. 331-3-1 ne peuvent être issues que de la liste des demandes examinées par le comité technique et transmise au commissaire du Gouvernement. »


Dès lors, le refus de l’autorisation d’exploité peut être fondé sur l’évincement d’un candidat à la rétrocession qui était pourtant prioritaire au regard des nouveaux schémas directeurs régionaux des structures agricoles.


Cette disposition commande donc de tenir pour indifférentes, les demandes d’autorisation d’exploiter non accouplées à une candidature de rétrocession.


Même si cela apparait logique dans un sens, en réduisant le spectre de la concurrence, la SAFER augmente symétriquement les chances de succès du candidat à la rétrocession qu’elle préfère.


S’il en est pour preuve, les SAFER ne sont donc pas encore entièrement soumise au contrôle des structures dans le cadre de leurs rétrocessions.


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