La Cour de Cassation maintien une jurisprudence sévère sur le formalisme de la cession d’un bail rural. Par un arrêt rendu le 9 juin 2015, la Cour de Cassation a confirmé son interprétation exégétique de l’article 1690 du Code civil.
Aux termes de ce dernier, « le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.
Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique. »
Il résulte de ces dispositions qu’une cession de bail n’est opposable au bailleur que si elle lui a été signifiée ou si il a été partie à l’acte authentique.
Là où les juges accordent une importance toute particulière à ces dispositions, c’est qu’ils considèrent ce formalisme comme une condition de validité de la cession de bail et non comme un acte soutenant la preuve de l’acquiescement du bailleur. Cet entêtement psychorigide à y voir un élément ad valitatem et non ad probatem, place les preneurs négligents dans une insécurité juridique démesurée.
En l’espèce, la cession de bail litigieuse avait pris effet le 1er mars 2007. Cette cession de bail était fondée sur la faculté de droit du fermier de céder son bail à un descendant ouverte dans les conditions de l’article L 411-35 du Code rural. Rappelons que sur ce fondement à défaut d’agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le Tribunal paritaire.
Même dans cette dernière hypothèse les juges ne font pas de zèle, le principe y est posé indifféremment, « la cession du bail rural, même autorisée en justice, n'était opposable au bailleur que si, conformément aux dispositions de l'article 1690 du code civil, elle lui avait été signifiée ou si celui-ci avait été partie à l'acte de cession et que la notification de la décision autorisant la cession ne constituait pas la signification prévue par ce texte ».
C’est dans ces conditions que les juges suprêmes avaient découvert une première fois dans l’article 1690 du Code civil une condition substantielle ad valitatem de nullité absolue de la cession de bail. Dans cette première jurisprudence, la cession de bail avait été autorisée par le juge paritaire devant les bailleurs contestataires. Pour autant, la cession de bail avait été annulée par les juges pour défaut de signification, même la signification de l’arrêt autorisant la cession de bail n’a pas pu substituer cette formalité. On comprend encore plus facilement par ce premier exemple que la signification de la cession de bail n’a pas que pour simple fonction d’informer les bailleurs mais de formaliser la cession.
Cette première jurisprudence est récente et date du 9 avril 2014, il n’est donc pas étonnant que pour notre seconde affaire les juges n’étaient pas enclin à se désavouer si précocement.
Pour l’affaire que nous intéresse, la bailleresse avait sollicité la résiliation du bail pour cession prohibée du bail au profit de la fille des preneurs et délivré́ congé pour reprise au profit de sa propre fille.
(En aparté, il faudra un jour que les juges suprêmes priorisent le droit à la reprise du bail du bailleur et celui de le céder pour le preneur. Pour l’instant, la Cour de Cassation a toujours pu s’en échapper en considérant que pour l’un ou l’autre les conditions n’étaient pas remplies.)
Les preneurs avaient contesté le congé. La cour d’appel l’avait annulé en retenant que la bailleresse ne pouvait soutenir, alors qu’elle avait été partie à la cession, que l’acte, faute de signification, lui était inopposable, de sorte que le congé délivré aux anciens preneurs, qui avaient perdu cette qualité, et non à leur fille cessionnaire du bail, était nul.
La Cour de Cassation casse ce raisonnement et martèle que cet argument est inopérant puisque la signification de la cession de bail est une condition de validité de l’acte.
Il s’agit d’ailleurs d’une nullité absolue, la Cour de Cassation ne laisse planer aucun doute dans l’arrêt du 9 juin 2015, la qualité de partie à l’acte du bailleur n’a aucune incidence sur la nullité de l’acte. Alors que l’action en nullité relative n’appartient qu’aux parties à l’acte, la nullité absolue d’un acte est invocable par les tiers et les parties, elle est d’ordre public, même le juge peut la soulever d’office.
On comprend aussi qu’il est vain pour le preneur de tenter d’apporter la preuve que le bailleur avait connaissance de la cession de bail et qu’il avait de fait acquiescé la situation, notamment en produisant le paiement des fermages du cessionnaire.
Pourtant, à mon sens, cet élément n’est pas totalement indifférent. Le paiement des fermages par le cessionnaire depuis plus de cinq ans pourrait utilement être invoqué à l’appui d’un moyen tiré de la prescription de l’action en nullité du bailleur. En effet, le régime de l’action en nullité absolue emprunte au droit commun de la prescription. Désormais la prescription de droit commun, c’est-à-dire celle qui s’applique à défaut de règle spéciale, est de « cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » selon l’article 2224 du Code civil. Ce texte pose à la fois la question du délai de prescription et celui de son point de départ. Dans ces conditions, apporter la preuve que le bailleur avait connaissance de la situation depuis plus de cinq ans permettrait de lui opposer utilement la prescription de son action. Il s’agit même d’un moyen d’ordre public que le juge peut soulever d’office. Dans les deux affaires arrivées jusqu’en cassation, la cession de bail n’était pas antérieure à cinq ans depuis le congé délivré par le bailleur contesté par le cessionnaire.
Une question se pose encore, peut-on considérer que le moyen tiré de la nullité du bail serait une exception de nullité? Le moyen tiré de la nullité de la cession est soulevé par les bailleurs pour contrer la demande d’exécution de la cession du bail prônée par les preneurs. La demande principale des bailleurs est la résiliation du bail pour reprise et la nullité de la cession est soulevée en défense par exception. Cette position est cruciale puisqu’on dit l’exception de nullité perpétuelle. L’adage classique est le suivant, ce qui éphémère par voie d’action est perpétuel par voie d’exception. La règle posée par la haute Cour pour l’exception de nullité est que l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte. A mon sens, en opposant l’existence d’une cession de bail, le preneur demande son exécution. Le raisonnement sur la prescription de l’action est donc inopérant car le bailleur agit par voie d’exception.
Il est donc impossible pour le cessionnaire dans cette position de se dépêtrer de l’absence de cette formalité substantielle. La troisième chambre civile en fait un moyen décisif et imparable.
Ces jurisprudences sont cependant à relativiser. Il est évident qu’elles sont inapplicables en cas de continuité du bail par un membre de la famille en cas de décès du preneur dans les conditions posées par l’article L 411-34 puisque dans cette hypothèse il s’agit d’une continuité de plein droit et que c’est au bailleur après avoir été informé du décès de son preneur de prendre l’initiative de la résiliation. Dans ces conditions, il ne s’agit pas d’une cession de bail et l’article 1690 du Code civil est donc inapplicable.
Théoriquement, la cession de bail n’est donc pas un acte totalement consensuel mais comporte un élément de solennité, la notification de la cession au bailleur. Cette solennité est surprenante puisque l’article 1690 du Code civil pose pourtant une alternative lorsque le débiteur est partie à l’acte authentique. Face à cette souplesse législative, on aurait pu estimer que la notification ne vaut que pour preuve. Ce n’est pas le camp choisi par les juges.
Ce qui est le plus surprenant, c’est le contexte de ces arrêts. Alors que la jurisprudence s'est toujours montrée soucieuse d'assouplir le formalisme de l'article 1690, mais dans la seule mesure où ses aménagements ne nuisent pas au débiteur cédé ou aux autres tiers. Il est difficile de concevoir pourquoi la troisième chambre civile s’obstine sur une jurisprudence à deux vitesses pour les baux ruraux. En effet, pour les autres matières concernées par l’article 1690 du Code civil, les juges ont consacré l’acceptation tacite du bailleur de la cession de bail, ce qui prouve à cet effet qu’il considère l’article 1690 du Code civil comme une formalité ad probatem. Pour une affaire concernant un bail commercial, l’attendu de principe posé par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation exposait « que l'accomplissement de l'une ou de l'autre des formalités énoncées en l'article 1690 du Code civil ne peut devenir inutile pour rendre la cession d'un droit au bail opposable au propriétaire que si celui-ci a, non seulement, eu connaissance de cette cession, mais l'a, également, acceptée sans équivoque » (Cass. ass. plén., 14 févr. 1975). Il est donc étonnant qu’en matière de bail rural, la troisième chambre civile décide de ne pas suivre la politique de l’Assemblée plénière.
Enfin, quel est l’intérêt de maintenir une telle jurisprudence manifestement à contrecourant de la volonté législative. L’ordonnance du 11 février 2016 portant du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations infirme le raisonnement tenu par les juges, les nouvelles dispositions de l’article 1216 du Code civil prévoient en effet que dans le cadre d’une cession de contrat, « la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte ». Le législateur pose littéralement la preuve par tout moyen de la cession. Les juges étaient pourtant bien avertis au jour de l’arrêt du 9 juin 2015 des intentions législatives puisque le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats présenté le 25 février 2015 prévoyait déjà un l’alinéa 2 pour un futur article 1334, selon lequel « La cession est opposable aux tiers à la date de l’acte. En cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen ». Certes ces dispositions concernaient seulement la cession de créance mais in limine litis l’article 1690 du Code civil n’était-il pas rédigé uniquement pour les cessions de créances et étendu dans l’obscurité de la loi à la cession de contrat ?
Toujours est-il, qu’à peine consolidée, cette jurisprudence est déjà rendue désuète par le législateur.