Le Conseil d’Etat poursuit sa route dans l’extension de la notion d’accessoire à la voie publique. Par un arrêt en date du 26 février 2016, le Conseil d’Etat a qualifié un mur de soutènement de la voie publique, situé en totalité sur un terrain privé, d’ouvrage public accessoire à la voie publique.
A l’occasion du basculement de ce mur, le propriétaire privé a demandé au maire de la commune de réaliser les travaux de sécurisation de ce mur, tout d’abord sur le fondement de ses pouvoirs de police en matière de sécurité (L.2212-4 du Code général des collectivités territoriales).
Le Conseil d’Etat confirme les juges du fond dans le rejet de ce moyen (CAA de Marseille) qui ont souverainement relevé que l’une des conditions de l’exercice de ce pouvoir de police n’était pas remplie, à savoir qu’aucun danger grave et imminent ne menaçait la circulation des véhicules en contrebas.
En revanche, en utilisant leur pouvoir d’évocation les juges du droit vont substituer le fondement invoqué et relevé d’office un moyen tiré de la responsabilité sans faute de la personne publique pour les dommages anormaux et spéciaux causés par un ouvrage public dont elle est propriétaire à l’égard des tiers. Pour autant, le Conseil d’Etat va exonérer la commune de cette responsabilité en l’espèce en retenant la faute du propriétaire privé en tant qu’il a surélevé le mur litigieux et que le risque d’effondrement de ce mur résulte de ce fait.
Il s’agit d’une décision pragmatique mais le réel apport de cet arrêt nait dans le raisonnement tenu sur l’ouvrage public accessoire que constituait le mur de soutènement.
I- L’extension de la notion d’ouvrage public :
Cet arrêt concerne l’extension d’un ouvrage public particulier puisqu’il s’agit d’une route communale. En matière de voierie les juges ont déjà été enclins à étendre (excessivement ?) la notion d’ouvrage public.
A- Le mur de soutènement, un accessoire nécessaire et indissociable qui quitte la route.
A l’instar de ce qu’a prévu le législateur en matière d’accessoire au domaine public à l’article L2111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques et par analogie primitive on peut considérer qu’un ouvrage est accessoire à un ouvrage public lorsqu’il concoure à son utilisation, c’est-à-dire qu’il lui est nécessaire selon la jurisprudence et qu’il lui est indissociable.
On comprend dès lors que cette qualification d’accessoire soit retenu pour un mur de soutenu qui assure la sécurité des autonomistes et qui est situé dans la même emprise que la voie. Cette solution a été admise antérieurement à notre arrêt par la CAA de Marseille (CAA de MARSEILLE, 5 novembre 2015, 13MA02952).
Pour autant, dans notre affaire le caractère nécessaire et indissociable du mur litigieux n’est pas réellement évident. On pourrait d’ailleurs se demander si le juge ne décide pas tout simplement de s’émanciper de ces critères. En effet, à la lecture de cet arrêt, un doute peut être soulevé sur l’utilité de ce mur pour la voie publique, notamment en interprétant largement les écritures des juges on pourrait considérer que ce mur n’est pas nécessaire pour assurer la sécurité des automobilistes en contrebas puisqu’alors même que le mur s’affaisse et risque de s’effondrer le risque pour ceux-ci n’est pas établi selon les juges.
Le juge avait pourtant fait sien ce critère. Par exemple pour des panneaux électoraux qui s’étaient envolés en raison de forts vents. Les juges administratifs considéraient que ces panneaux ne constituaient pas des accessoires indispensables de la voie publique sur laquelle ils étaient implantés, de sorte qu'ils présentaient le caractère d'ouvrages distincts de celle-ci. (CAA Lyon, 10 avr. 2014, n° 12LY20166, Cne Villeneuve-lès-Avignon).
Et que dire du caractère indissociable de ce mur pour la route ! Ce mur est situé sur une propriété privée, ce qui constitue ici la grande différence avec l’arrêt de la CAA de Marseille. Comment considérer cela ? S’agit-il d’un empiétement d’un ouvrage public sur une propriété privée ? Une servitude « d’ouvrage public » ? Toujours est-il qu’on ne peut pas vraiment considérer que le mur en question soit indissociable de la voie publique, les deux ouvrages ne se trouvant même pas sur la même emprise foncière.
Enfin, et c’est le plus évident, le juge administratif s’absout également totalement du critère de la propriété publique établi par renvoi dans l’article L 2111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques.
B- Une extension de la notion d’ouvrage public qui ne quittera pas les routes ?
La notion d’ouvrage public accessoire est en réalité circonscrite à la voirie.
Cette marotte des juges a commencé avec les ponts. Alors qu’une réelle question sur le rattachement de ces ouvrages leur a été posée, les juges ont estimé que les ponts ne constituent pas des éléments accessoires des cours d'eau ou des voies ferrées qu'ils traversent, mais sont au nombre des éléments constitutifs des voies dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage. En conséquence, un pont supportant une route départementale appartient à la voirie départementale. Le département a donc la charge de l'entretien de cet ouvrage, en application de l'article L. 131-2 du Code de la voirie routière (CE, 23 juill. 2012, Dpt Marne, n° 341932).
Par suite, il n’est donc pas étonnant qu’un mur de soutènement ait déjà pu être considéré comme tel par la CAA de Marseille.
La notion d’ouvrage public accessoire ne trouve pourtant pas à s’appliquer dans un autre cadre que la voirie publique.
II- Le régime applicable à l’ouvrage public :
Cette qualification d’ouvrage public accessoire ouvre le champ à la responsabilité sans faute de la personne publique propriétaire vis-à-vis des tiers pour les dommages anormaux et spéciaux qu’ils subissent du fait de cet ouvrage.
A- La responsabilité sans faute pour les dommages anormaux et spéciaux vis-à-vis des tiers.
Le régime de responsabilité de la puissance publique pour les travaux et ouvrages publics est fondé sur le caractère anormal du dommage, indépendamment de toute idée de faute. C’est un régime avantageux puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer une faute, notamment le défaut d’entretien, et soulever cette circonstance en défense est inopérante.
Dès lors, seules la force majeure et la faute de la victime peuvent venir exonérer la personne publique propriétaire de l’ouvrage. C’est le cas dans notre espèce, les juges considèrent souverainement que la victime a commis une faute en surélevant le mur puisque le risque d’effondrement de ce mur résulte de ce fait.
B- Une responsabilité sans faute d’ordre public.
Il a été récemment jugé que la responsabilité sans faute était d'ordre public et pouvait donc être invoquée à tout moment de la procédure (y compris pour la première fois en appel). La circonstance que la responsabilité pour dommage anormal n'ait été invoquée qu'à titre subsidiaire, la responsabilité pour défaut d'entretien normal l'ayant été à titre principal, n'a donc aucune incidence sur la recevabilité de la requête (CAA Douai, 3 févr. 2015, n° 13DA01489, Cne Vesly).
Notre arrêt le confirme puisque les juges s’octroient le droit de soulever ce moyen d’office.