top of page

L'invocabilité en demi teinte du principe de prévention contenu dans la Charte de l'environn

Alexandre Guillois

L’article 3 de la charte de l’environnement pose le principe de prévention des atteintes à l’environnement. Dans un arrêt en date du 12 juillet 2013, « Fédération nationale de la pêche en France », l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a dû en apprécier l’effet direct en apportant des précisions sur cette notion.



En l’espèce, le premier ministre a pris un décret le 22 septembre 2010 afin de règlementer la pêche de l’anguille sur le fondement de dispositions légales contenues à article L 436-11 du Code de l’environnement.



La fédération nationale de la pêche en France (FNPF) a saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de ce décret en tant qu’il autorise sous certaines conditions la pêche à l’anguille pour les pêcheurs professionnels. Il convient de rappeler ici que le contentieux de l’annulation ou de la réformation d’un décret relève en premier et dernier ressort de la compétence du Conseil d’Etat.


La FNPF soulève entre autres moyens, l’inconstitutionnalité de ce décret. En ce sens que le premier ministre était incompétent constitutionnellement pour prendre les mesures attaquées. En outre, concernant la légalité interne, le décret serait contraire au principe de prévention des atteintes à l’environnement tiré des dispositions de l’article 3 de la Charte de l’environnement.


Le Conseil d’Etat rejette la requête. Concernant l’incompétence du premier ministre, le Conseil d’Etat considère que ce dernier n’a pas outrepassé l’habilitation législative (I). Concernant la légalité interne du décret, ayant été pris sur le fondement d’une habilitation législative, le Conseil d’état en déduit que l’écran législatif est transparent. Partant, il va contrôler directement la constitutionnalité du décret avec le principe de prévention des atteintes à l’environnement. En étudiant le bien-fondé de ce moyen, il va apprécier l’applicabilité directe de ce principe de prévention évoqué à son appui. En somme, même si ce principe est invocable car il ne déclare pas le moyen irrecevable, il n’est pas suffisamment précis pour motiver au fond l’annulation du décret (II).


I- Sur la légalité externe du décret : le rejet du moyen tiré de l’incompétence constitutionnelle du Premier ministre.


Ce moyen ne pouvait qu’être rejeté, l’article 3 de la charte de l’environnement prévoit que le législateur fixe les conditions pour prévenir les atteintes à l’environnement (A), il peut cependant déléguer ses pouvoirs au pouvoir règlementaire dans le cadre d’une habilitation législative, charge à ce dernier de respecter cette habilitation, ce qui est le cas en l’espèce (B).


A- La compétence constitutionnelle du législateur pour prévenir les atteintes à l’environnement.


La FNFP requérante soulève l’incompétence du pouvoir règlementaire sur le fondement de l’article 3 de la charte de l’environnement. Il s’agit dès lors d’une incompétence constitutionnelle puisque la valeur constitutionnelle de la charte a été reconnue par le Conseil d’Etat (CE, 19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne) et par le Conseil constitutionnel (CC, 19 juin 2008, Loi sur les OGM), à l’instar de l’ensemble du préambule (CE, ass, 7 juillet 1950, Dehaene ; CE, 12 février 1960, Société Eky ; CC, 16 juillet 1971 Liberté d’association).


L’article 3 de la charte de l’environnement attribue la compétence de la prévention des atteintes à l’environnement au législateur.


Et, dans ce cadre le législateur à légiférer sur la pêche, tout en laissant le soin au pouvoir règlementaire de préciser ses propos dans un cadre spécifiquement défini.


B- L’habilitation législative, la délégation de compétence respectée par le premier ministre.


Il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir règlementaire ne s’est pas immiscé dans les domaines d’attributions réservés constitutionnellement au législateur. C’est en ce sens qu’il exerce son contrôle de constitutionnalité sur la compétence du premier ministre en l’espèce. Aussi, lorsque le législateur habilite le pouvoir règlementaire à édicter des règlements dans ses domaines d’attribution, le juge administratif réalise un contrôle de constitutionnalité afin de vérifier que l’administration n’a pas outrepassé cette habilitation législative (CE, 1954, Fédération nationale des parents d’élèves). Si le pouvoir règlementaire ne s’est pas borné à tirer les conséquences de la loi, l’incompétence est alors bien fondée (CE, assemblée, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy). Dans l’arrêt « Commune d’Annecy », l’assemblée du contentieux avait relevé cette incompétence sur le fondement de l’article 7 de la Charte, sur l’accès aux informations relatives à l'environnement et la participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.


En l’espèce, les juges soulignent expressément « que le pouvoir réglementaire s'est borné à mettre en œuvre les dispositions » législatives. Dès lors, l’incompétence constitutionnelle du premier ministre n’était pas fondée.


L’inconstitutionnalité du décret est également soulevée au fond.


II- Sur la légalité interne du décret : le rejet du bien-fondé du moyen tiré de l’inconstitutionnalité du décret au principe de prévention énoncé dans la charte.


Le Conseil d’Etat va rejeter le moyen tiré de l’inconstitutionnalité du décret pour non-conformité au principe de prévention au fond (B), pourtant ce décret est pris en application d’une loi (A).


A- Un moyen recevable et opérant : l’invocabilité du principe de prévention et la transparence de la loi.


A contrario, si le Conseil d’Etat étudie le bien fondé du moyen c’est qu’il l’estime recevable et opérant.


Pourtant, l’invocabilité du principe de prévention n’est pas une évidence. Le juge ne peut recevoir un moyen que si son fondement est suffisamment précis et inconditionnel, notamment lorsque le moyen s’appuie sur des dispositions constitutionnelles tirées du préambule (CE, ass, 1978 « GISTI, CFDT et CGT »). Il s’agit de l’une des acceptions de l’effet direct, l’invocabilité de la norme. La question de l’invocabilité des dispositions de la charte de l’environnement a déjà fait l’objet de plusieurs arrêts. Le juge administratif apprécie cette invocabilité disposition par disposition. Le principe de précaution énoncé dans l’article 5 de la charte est invocable (CE, ass., 12 avril 2013 « Association coordination interrégionale Stop THT »). En l’espèce, le juge reçoit le moyen et reconnait le principe de prévention produit suffisamment d’effet direct pour être invocable.


Aussi, le juge administratif considère ce moyen opérant. Pourtant le décret est pris en application de dispositions législatives (L 436-11 du Code de l’environnement). Le juge administratif se refuse de contrôler la constitutionnalité des lois, compétence exclusive du Conseil Constitutionnel (CE, Sect, 6 novembre 1936 « Arrighi » ; CE, 5 janvier 2005 « Deprez et Baillard »). Ainsi, lorsqu’un décret est pris en application d’une loi, le juge considère que la loi fait écran à son contrôle de constitutionnalité du décret, il se refuse donc d’effectuer un contrôle de constitutionnalité même indirect de loi. Cependant, ce principe connait une exception, lorsque la loi ne fait qu’investir le gouvernement du pouvoir de prendre certaines mesures sans prédéterminer les principes à mettre en œuvre, l’écran est dit « transparent » (CE, 17 mai 1991 « Quintin »). Dès lors le juge peut contrôler directement la constitutionnalité de l’acte administratif. C’est le cas dans l’arrêt commenté. L’article L 436-11 du Code de l’environnement laisse le soin au pouvoir règlementaire de définir les conditions d’exercices de la pêche, il s’agit d’une habilitation législative.


En l’espèce, le moyen soulevé est cependant rejeté au fond.


B- Le rejet du bien-fondé du moyen, l’applicabilité controversée du principe de prévention.


Le principe de prévention énoncé dans l’article 3 de la Charte de l’environnement produit en réalité un effet direct en demi-teinte. Si le principe de prévention est bien invocable à l’appui du recours car suffisamment d’effet direct, le juge n’effectue cependant aucun contrôle sur son fondement. Le principe de prévention appelle pourtant un contrôle maximum du bilan coût-avantage (CE, 28 mai 1971, « Ville nouvelle Est »). Ce que le juge ne se refuse pas à faire en l’espèce mais il souligne que les contours de ce principe de prévention relève de la compétence du législateur. En effet, l’autre acception de l’effet direct concerne l’applicabilité de la norme. En l’espèce, le juge considère que le principe de précaution est d’applicabilité indirecte puisqu’il doit être explicité par la loi. Ici, puisque le législateur n’en a pas définit les contours, le principe de prévention n’est pas suffisamment précis pour que le juge administratif puisse en apprécier concrètement les effets et contrôler son respect. Le juge administratif ne peut donc pas réaliser un contrôle sur les mesures contestées car le principe de précaution tiré directement de la constitution n’est pas suffisamment explicite. Il est contraint de rejeter le moyen au fond.


Le principe de prévention n’est qu’un principe et sa conceptualisation est vague. Il faut prévenir les atteintes à l’environnement, oui mais jusqu’à quel point peut-on porter atteinte à l’environnement ? En l’espèce, le juge administratif rejette au fond le moyen tiré de cette atteinte au principe de prévention. Dès lors, on peut ainsi estimer que l’atteinte à des espèces protégées est possible si elle est suffisamment conditionnée.

© 2023 par Avocats & Associés. Créé avec Wix.com

NOUS SUIVRE :

  • w-facebook
  • Twitter Clean
bottom of page